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La suppression de la taxe d’habitation et son remplacement par le foncier bâti départemental conduit à l’application d’un coefficient correcteur (voir cet article pour les explications sur le mécanisme). Le projet de loi de finances pour 2020 institue un système de compensation / prélèvement, mais masqué pour les collectivités, le budget de l’Etat jouant le rôle de variable d’ajustement.

Pour les collectivités qui reçoivent moins de produit de foncier bâti qu’elles ne perdent de produit de taxe d’habitation, le coefficient correcteur qui s’appliquera au foncier bâti sera supérieur à 1. Et il sera inférieur à 1 pour les collectivités qui récupèrent plus de foncier bâti qu’elles ne perdent de taxe d’habitation.

A partir des données publiques de la fiscalité locale 2018, nos consultants ont calculé pour l’ensemble des communes de France, la compensation et le prélèvement, ainsi que le coefficient correcteur. En voici les principaux résultats, sous forme de deux tableaux et une carte.

Remarquons tout d’abord que, parmi les communes bénéficiant d’une compensation, c’est à dire avec un coefficient correcteur supérieur à 1, qui donc ont reçu moins de foncier bâti départemental qu’elles n’ont perdu de taxe d’habitation, les communes de taille importante sont très majoritairement concernées. 72% des communes de plus de 30 000 habitants bénéficient d’une compensation, avec un coefficient correcteur moyen de 1,24 : le produit fiscal de foncier bâti qu’elles percevront sera majoré de 24% en moyenne ! Le montant moyen ressort à 11,2 millions d’euros du fait des très grandes communes (Marseille, Nice,…).

A l’opposé, les communes de petite taille concernées par la compensation sont minoritaires : seules 1/4 des communes de moins de 500 habitants bénéficieraient d’une compensation, pour un coefficient moyen de 1,08 et un montant moyen de près de 10 000€.

Ensuite, concernant les communes prélevées, c’est à dire celles avec un coefficient correcteur inférieur à 1, donc des communes qui ne percevront pas la totalité des cotisations de foncier bâti des contribuables (ménages et entreprises) de leur territoire, la situation est logiquement inversée. Les communes de moins de 500 habitants sont aux 3/4 concernées par un prélèvement, avec un coefficient correcteur moyen de 0,65-0,7, et les communes entre 500 et 5000 habitants sont à 60% concernées par un prélèvement, avec un coefficient correcteur de 0,75-0,8.

Seules 28% des communes de grande taille sont concernées par le prélèvement, avec un coefficient correcteur moyen de 0,81.

Qu’en conclure ? Plusieurs points :

  • Tout d’abord, le mécanisme du coefficient correcteur, annoncé en substitution de celui du fonds de compensation (tel que pour la TP), et annoncé comme plus juste car évolutif alors que le fonds est figé, est généralement défavorable aux communes de petite taille. Elles sont très majoritairement concernées par un prélèvement, et ce prélèvement va augmenter comme les bases d’imposition. Avec un système de fonds tel que celui pour la suppression de la taxe professionnelle, elles subissaient aussi un prélèvement, mais au moins figé.
  • A l’inverse, les communes de grande taille sont elles, majoritairement concernées par une compensation. Elles bénéficieront donc pleinement de ce système puisque la compensation qui leur sera versée sera progressera comme les bases d’imposition.
  • La carte de France ci-dessus présente les estimations de coefficient correcteur pour toutes les communes : plus la couleur est foncée, plus le coefficient correcteur est élevé, et plus la commune reçoit de compensation. A l’inverse, plus la couleur est blanche, plus le coefficient est bas, et plus la commune est prélevée. Remarquons que le caractère urbain / rural ressort nettement : les zones côtières de PACA, de Nouvelle aquitaine, la bretagne et les pays de la loire, la savoie et la région lyonnaise, l’ile de france bénéficieront d’une compensation. A l’inverse, les régions d’occitanie (hors Toulouse et son agglomération), Grand Est, l’Auvergne, Normandie, sont elles nettement des zones de prélèvement.
  • Ensuite, la pérennité de ce système doit être posée. Le développement (et la progression de la fsicalité) étant généralement plus urbain que rural, les compensations versées par l’Etat vont avoir tendance à progresser plus rapidement que les prélèvements. D’où un risque d’alourdissement de la facture pour l’Etat. Et vu l’exemple des compensations précédentes, des mesures décidées par l’Etat qui à terme finissent toutes par être minorées, croire que la mise en place d’un coefficient correcteur permettra de se prémunir face à de futures diminutions est un leurre.
  • Lorsqu’un contribuable (entreprise ou ménage propriétaire) s’installera sur une commune de petite taille, sa cotisation de foncier bâti sera pour partie seulement versée à la commune d’implantation (coefficient inférieur à 1).

Cette situation aurait eu lieu avec un mécanisme de fonds de compensation. Mais cette fois-ci, il s’appliquera aussi aux nouvelles arrivées de contribuables.

A compter de 2021, les communes bénéficieront de la part départementale de la taxe d’habitation. Ainsi, le taux d’imposition de référence de foncier bâti communal pour 2021 sera égal à la somme du taux communal de foncier bâti 2020 et du taux départemental de foncier bâti 2020 (qui ne sont pas figés contrairement au taux de taxe d’habitation).

Toutefois, le produit de la part départementale du foncier bâti peut être différent du produit perdu en matière de taxe d’habitation. Le dispositif de compensation de la suppression de la taxe d’habitation pour les communes se distingue de celui de la suppression de la taxe professionnelle : plutôt qu’une dotation figée (prélèvement ou reversement), le Gouvernement propose l’application d’un « coefficient correcteur » (point 4. de l’article 5).

Ce coefficient correcteur s’appliquera sur le produit de taxe foncière sur les propriétés bâties avant prise en compte des évolutions du taux depuis 2020.

Comment fonctionne le coefficient correcteur ?

Schématiquement, si la suppression de la taxe d’habitation et son remplacement par le produit du foncier bâti départemental conduit à une perte de produit fiscal, qui par exemple représenterait 20% du produit de foncier bâti commune et département, alors le coefficient correcteur sera de 1,2. Il s’appliquera sur le foncier bâti avant prise en compte des variations de taux depuis 2020.

Le produit fiscal de foncier bâti versé à la commune sera donc calculé à partir de deux parts :

  • une part “compensation”, qui vise à affecter à chaque commune au moins ce dont elle disposait avec la suppression de la taxe d’habitation,
  • une part “évolution du taux”, égale à Bases x Taux, mais sans le coefficient correcteur, pour tenir compte des variations de taux qui seraient décidées les années futures.

A l’inverse, si la suppression de la taxe d’habitation et son remplacement par le foncier bâti départemental conduit à un surplus de recette, supérieur à 10 000€, alors le coefficient sera inférieur à 1 (et correspondra alors à un prélèvement).

Enfin, pas de coefficient si le gain de produit fiscal est au plus égal à 10 000€.

Une compensation évolutive …

La compensation (cas d’un coefficient correcteur supérieur à 1) et le prélèvement (cas d’un coefficient correcteur inférieur à 1) progresseront comme les bases d’imposition.

Ainsi, ce coefficient s’appliquant sur les bases d’imposition de chaque année, la compensation de la suppression de la taxe d’habitation sera évolutive, contrairement à la suppression de la TP qui avait conduit à des compensations figées. Mais l’évolution jouera dans les deux sens : pour reprendre l’exemple précédent d’un coefficient de 1,2, si les bases progressent, la commune bénéficiera d’un supplément de 20% y compris sur la croissance future des bases ; si les bases diminuent, la compensation (les 20% en plus du produit “normal” de foncier bâti) et le produit fiscal diminueront.

… Qui pose questions

L’application d’un coefficient correcteur conduit à “distendre” le lien avec le territoire : le coefficient correcteur s’appliquera aussi aux bases d’imposition futures. Si une commune bénéficie d’un coefficient de 1,2, alors chaque contribuable (entreprise ou particulier) qui s’installera au cours des années futures sur la commune génèrera pour la commune un produit fiscal 20% supérieur à celui que le contribuable aura réellement payé ! Un effet de levier intéressant … payé par l’Etat … pour le moment.

A l’inverse, une commune qui aurait un coefficient inférieur à 1 ne percevra pas la totalité de la fiscalité de foncier bâti des contribuables de son territoire. Y compris pour les nouveaux arrivants.

Ce système, dont le budget de l’Etat constitue la variable d’ajustement, est équilibré, si toutes les augmentations de compensation (coefficients supérieurs à 1) sont compensées par des prélèvements en hausse (coefficients inférieurs à 1). Or les territoires faisant l’objet de prélèvement étant plutôt situés en zone urbaine, donc potentiellement plus évolutifs, le coût à la charge de l’Etat pourrait croître avec le temps. Ce qui nécessairement interroge sur la pérennité d’un tel système.

Le Premier Ministre a, lors de son discours devant l’association des petites villes de France (APVF) à Uzès le 19 septembre dernier, rappelé quelques points clefs sur la suppression de la taxe d’habitation, en attendant la lecture du projet de loi de finances pour 2020.

Deux principes fondent la compensation de la suppression de la taxe d’habitation :

  1. Un principe de simplicité et de confiance, puisqu’avec le transfert de la taxe foncière des départements, désormais, les maires vont avoir un pouvoir de taux et d’assiette sur la quasi-totalité de la taxe foncière, à l’exception de la part qui était déjà perçue par les intercommunalités “,
  2. Deuxième principe : c’est un principe de juste compensation“.

Ce second principe correspond aux annonces faites d’une compensation via un “coefficient correcteur“, et non plus une dotation figée. L’idée sous-jacente est la suivante : tenir “compte des évolutions de l’assiette de l’impôt“. Lors de la suppression de la taxe professionnelle, la garantie de maintien des ressources a été réalisée au travers du Fonds National de Garantie Individuelle des Ressources (FNGIR), compensation figée. Cette dotation a été très critiquée, parfois pour de mauvaises raisons quand une commune ayant peu de TP s’est vue infligée un prélèvement au titre du FNGIR important, oubliant qu’avec la suppression de la TP la-dite commune a récupéré l’ex taux départemental de la taxe d’habitation et donc un produit fiscal supérieur à la perte de la TP (si elle a un prélèvement FNGIR). Et parfois, la fiscalité reçue en remplacement de la TP a pu baisser, alors que le prélèvement n’a pas lui diminué.

Néanmoins, sur la suppression de la TP et le FNGIR, le point juste est le manque de simplicité du dispositif, du fait des nombreux transferts de ressources.

A la place, le projet de loi de finances pour 2020 introduira le coefficient correcteur. Il doit tenir “compte des variations de l’assiette fiscale” : qu’est-ce que cela signifie ? Que si les bases d’imposition diminuent le coefficient s’ajusterait à la hausse ? Que le coefficient correcteur s’ajusterait à la baisse chaque année puisque les bases sont revalorisés par un coefficient de revalorisation ?

Mais aussi, quelles incidences pour la taxe GEMAPI, assise notamment sur la TH ? Quid des potentiels fiscaux ? Quid des règles de liens entre les taux, notamment pour la CFE ?

Réponse prochainement avec la publication du projet de loi de finances…

Autres points annoncés ou rappelés à l’occasion du discours du Premier Ministre :

  • Absence de prélèvement lorsque le “gain”, c’est à dire l’excédent de taxe foncière d’une commune par rapport à la taxe d’habitation supprimée, est inférieur à 10 000€,
  • Clause de revoyure dans 3 ans, permettant de faire un bilan et identifier si des mesures correctives sont nécessaires.